jeudi 23 septembre 2010

Kpital

Hypocrisie ou véritable plébiscite

Tant pis pour vous : face à un tel engouement pour nos élucubrations respectives, je continue !


La traversée entre Porto Santo et Madère (environ 40 miles), s’est passée au moteur avec deux nœuds de vent de face, et une houle d'un mètre cinquante. Rien à signaler, le courant était favorable, nous marchions entre six et sept nœuds.



Voyage au centre de la mer
ou étude de la flexibilité de la queue de la vache



Je dois avouer que l’oisiveté amène à se poser des questions essentielles, telles que celle concernant ce mammifère que nous avons découvert sur cette île sauvage, et qui m’apparait comme un animal doux et paisible, cherchant à nous envoyer un message à l’aide d’un mouvement gracile d’un membre apparemment réservé à la communication, se terminant par un plumeau décoratif. 






Ce langage reste pour l’instant hermétique à ma compréhension, mais je compte bien pouvoir sans tarder leur répondre. 

Je vous tiens au courant.

HISTOIRES DE MER




pour l'amour d'Angelika...
Buenos Aires, Ushuaia, Valparaiso, Ile de Pâques, Fidji, Singapour… c’est pour voguer vers ces contrées aux noms évocateurs de chasse au trésor et d’aventuriers au visage buriné, qu’Heidi a salué les pensionnaires de la maison de retraite qu’elle dirigeait  pour suivre son musicien de mari, Udo, juste retraité du Philarmonique de B., Allemagne.
De son doigt de violoniste, il survole le planisphère, un regard gourmand de petit garçon devant un chou à la crème, il égrène le nom des ports qui donneront la mesure à son tour du Monde, encore sonné d’avoir franchi le fil ténu de sa vie d’avant, enjambé d’un pas de géant la frontière du presque non-retour, tiré un grand trait sur ce qui a rempli ses soixante dernières années, son travail, sa maison, ses manies de terrien… Il n’a pas fixé de limites à son voyage, ne connait pas la date de retour, n’a pas la moindre idée de la fin de son parcours. Comme un animal de compagnie qui suivrait son maître, son instrument a trouvé sa place dans le bateau, à l’abri de l’humidité dans un écrin de velours…




Il y a aussi Axel, 28 ans, croisé à son retour. S’est réveillé un beau matin devant le choix crucial de son existence : effrayé par la route déjà tracée, laissant derrière lui un profil de carrière, une maison à construire et une famille à fonder, il a embarqué sur son rafiot sa compagne Jeanne, qui n’avait jamais navigué, ohé, ohé… s’est envolé vers le Brésil où il avait toujours rêvé d’aller. Presque sept mois près de Sao Paulo, un morceau de vie dans l’embouchure des fleuves, il s'est baigné dans l’eau limoneuse des estuaires cernés par la mangrove… et s’en est retourné, parce que Jeanne avait le mal de mer.
Une autre page à écrire les attend à Paris.



cours accéléré de pain à la poêle (filmé pour tv goteborg)


Et puis Jan et Per, beaux-frères à la ville, qui ont pris la poudre d’escampette ; leurs épouses les rejoindront dans six mois à la Barbade, et Per prendra le chemin du retour à sa vie de labeur, laissant Jan continuer son chemin, peut-être avec son âme-sœur, si elle choisit de le suivre. Jan évoque le plaisir de voguer sur les côtes de son pays, la Suède, la beauté des îles qui parsèment la mer intérieure partagée avec la Finlande et le Danemark, devant nous, pauvre auditoire, qui ignorions jusqu’à l’existence d’une mer navigable dans cette partie du globe…
Il parle aussi de son expérience humanitaire de conducteur de camion, dans les contrées reculées de l’Europe de l’Est : Transylvanie, Moldavie, Roumanie, un autre monde aussi , d’autres images surgissent, très éloignées de la douceur salée de notre décor de privilégiés.



Et d'autres encore, histoires de mer prises à la volée, au bord du quai : ces deux jeunes bretons, qui ont franchi au ralenti, faute de vent et de moteur, le bras de mer entre Porto Santo et Madère, juste le temps de croiser deux baleines, saluer quelques dauphins, apercevoir une tortue qui flottait sur sa coquille, et ferrer un requin qu’ils n’ont pas oser remonter à bord. Cruel dilemme...




Voyages tous azimuts, écoute attentive obligée pour ne pas passer à côté de ces récits parfois hachés sur du mauvais anglais, rencontres d'hommes et de femmes très éloignés des clichés de grands aventuriers : ni Kersauson, ni Bombard, pas même Antoine : parfois timides, un peu empruntés, qu'on ne remarquerait pas dans le métro, avec juste une petite flamme dans les yeux, celle du demain qu'il ont choisi.


L’ÎLE VERTE










Comme une tache de naissance, fumerolles éternelles du volcan qui l’a faite surgir des flots il y a quelques millénaires, les nuages s’accrochent à Madère, tel un voile de coton qui s’effiloche à l’extrême est de l’île, quasi désertique, comme une chape de plomb dès que l’on s’immisce dans ses entrailles verdoyantes.




Très loin des rivages dorés de sa petite sœur, Porto Santo,  l’austère Madère est plantée dans l’océan ne laissant aux baigneurs qu’un trottoir de roches noires, surplombées de vertigineuses falaises. Sur le versant sud, autour de Funchal, le sable s’est importé aux abords des ports, plages de poche couleur soleil ; plus au Nord, on relie les rochers entre eux pour aménager des piscines naturelles, qui se remplissent au gré des marées.














Aussi loin que porte le regard, il se dilue dans le vert et l’eau qui s’entremêlent : cascades, ruisseaux, torrents, canaux d’irrigation, rigoles, se ruent du sommet des montagnes vers la mer qui reçoit en gerbes magnifiques ce qui n’est pas intercepté par l’homme.







Le cœur de l’île, traversé de part en part par des tunnels qui ruissellent, gigantesque nuancier de verts, ne laisse apparaitre qu’une présence discrète de la civilisation, regroupée autour de quelques villages ou hameaux isolés.





Autour de la capitale, les plantations de bananiers, juchées sur les espaliers qui attestent des efforts colossaux des premiers colons pour dompter l’inclinaison de la terre, remplacent la canne à sucre qui s’incruste encore au bord des chemins.
Partout ailleurs, la vigne rampe ou s’élève en terrasse, sur les pentes ou les tonnelles. Quelques rares troupeaux se partagent le maquis, seule surface plane perchée sur les plus hauts sommets de l’île.


Deux jours d’incursion dans cet univers resté très sauvage, un peu dépités de ne pouvoir emprisonner la couleur et la vigueur des éléments dans notre boite noire.

Funchal, capitale de Madère








Au large se profile la silhouette élancée des Iles Désertes, enfants terribles de l’archipel, zone protégée abritant une espèce menacée de phoques moines. Inhabitées, elles n’offrent aux navigateurs attirés par la difficulté aucun abri dès que le vent se lève. Un gardien vient à la rencontre des intrépides munis de leur permis, sésame délivré par l’administration portugaise pour accoster sur la réserve.

Peut-être notre prochaine étape sur la route des Canaries, si la météo nous accorde sa clémence.

Un peu d’histoire               
Pendant de nombreux siècles, l’archipel de Madère constituait la limite du monde connu. Même si les Arabes connaissaient son existence, les archives datent la découverte de Madère à l’année 1419, après Porto Santo, par des navigateurs portugais en route pour l’Afrique. Très vite, les portugais colonisent l’île après avoir entrepris une grande campagne de défrichage, brûlant la forêt originelle « la Madeira », qui donna son nom à l’île : une légende parle d’un incendie qui dura plus de sept ans. Les pentes abruptes furent domestiquées pour accueillir la canne à sucre et la vigne, qui a fait la renommée de l’île avec son fameux vin de Madère, tenant son goût particulier du long voyage dans les cales surchauffées des voiliers qui rentraient en Europe. Son histoire reste essentiellement portugaise, malgré des incursions brèves de la France, de l’Espagne et de l’Angleterre, qui tentèrent de se l’approprier.

mardi 7 septembre 2010

K d'étude


Travailler, c’est trop dur


Voilà deux mois aujourd’hui que nous sommes partis de Leucate.

Jamais depuis que je travaille je n’étais resté autant de temps sans faire. Je ne parle pas de rester sans rien faire car sur le bateau on ne s’ennuie jamais : il y a toujours du bricolage, la vaisselle à laver, le repas à préparer, un livre à lire, des maths ou de la physique à voir avec Sarah, … Bref, les journées sont trop courtes.

Je veux parler d’une inquiétude concernant ma capacité à rester improductif encore pendant six mois.

Mes mains de travailleur manuel muent peu à peu. Les cales sont parties par couches successives, leur rendant une sensibilité et une souplesse perdues depuis longtemps. Je peux à nouveau tenir un stylo sans avoir l’impression d’écrire avec un gant de boxe. Mais, combien d’ampoules en perspective, combien de courbatures, serais-je capable de recommencer ce travail de forçat, agenouillé des journées entières, plié, cassé en deux, les bras tendus au dessus de la tête avec un rouleau dans la main ?


Promiscuité ou bonheur d’être ensemble

Vingt mètres carrés avec ma femme et ma fille comme seuls interlocuteurs. Et pourtant, tout va très bien.

Seraient-elles parfaites ? Ce n’est pas nécessaire. Je crois que cette richesse qu’est le temps que nous nous sommes alloué, même si ce n’est qu’une parenthèse, évite les tensions, la fatigue, le stress, et que notre éloignement au monde nous protège de tout ce qui d’ordinaire nous parasite : la productivité et les horaires.

En bref, nous profitons pleinement du plaisir d’être ensemble, seuls les devoirs de Sarah nous contraignent un peu.


Jalousie

Je sens chez mon lecteur poindre un sentiment bien normal, lui qui a pris un peu de son précieux temps pour venir se distraire sur le blog « Bettyzou » en regardant quelques photos, se trouve aux prises avec les états d’âme d’un type qui sirote une limonade les pieds dans une eau bleu azur, légèrement bercé par les vaguelettes qui le rafraichissent sous un soleil de plomb.

Ne croyez pas que ce soit si facile, rejoignez-nous dans notre lutte, venez grossir les rangs de notre mouvement.

Pas de nouvelles de Sarkozy


Sarkozy… Ce nom me dit quelque chose. Peut-être une marque de lessive, ou de shampoing antipelliculaire… Etonnant comme la mémoire vous joue des tours après seulement deux petits mois de sevrage télévisuel. Depuis notre départ, pas le plus petit embryon d’infos, pas une miette d’actualités, un désert d’images et de communiqués, et l’idée d’aller pêcher des bribes de nouvelles sur internet ne nous a même pas effleurée : pas de nouvelles, bonnes nouvelles.  On dit que le voyage est une façon de s’ouvrir au monde : plutôt une  volonté délibérée de s’en préserver…


Alors, dans ce monde merveilleux où les journées sont rythmées par les quatre fondamentaux (petit-déjeuner, déjeuner, goûter, diner), nous évoluons dans une espèce de bulle ouatée, rencontrons d’autres illuminés, bercés par la même utopie d’une vie sans contrainte, dominés par les mêmes intérêts primordiaux de direction du vent et de température de l’eau, animés par la même quête du prochain bulletin météo et confrontés au choix crucial de la prochaine destination : Lanzarote ou Tenerife ?



En attendant, juste après Christophe Colomb qui a foulé le sol de ce port  « béni » de Porto Santo, chacun marque pour la postérité et avec une échelle de 1 à 100 sur l’échelle de la modestie, son empreinte sur le quai bétonné, signature toujours révélatrice de la personnalité de son auteur (et de la qualité de la peinture qu’il a utilisée…).







c'est le ponton qui bouge...

(Nous tenons ici à remercier chaleureusement notre ami Claude, pour sa très large contribution à notre entrée dans la postérité) 

le seul dessin qui flotte avec la marée...

(Parenthèse pour ceux qui voudrait un peu se cultiver dans la vie)

Porto Santo est la plus petite île habitée de l’archipel de Madère, de 11 kilomètres de long sur 6 kilomètres de large, découverte en 1418 par des navigateurs portugais, en route pour l’Afrique. Pour se protéger d’une tempête, ils s’abritèrent sous le vent d’une île alors inconnue : c’est l’origine du nom port « béni » ou port « saint » de l’île, rapidement colonisée par les Portugais. Christophe Colomb, un siècle plus tard, épousa la fille du gouverneur de Porto Santo et y séjourna quelques temps ; la maison où il a vécu est aujourd’hui un musée.



 Bordée sur toute sa longueur par une plage de sable fin dont la composition est reconnue pour ses vertus thérapeutiques, Porto Santo est la destination privilégiée des habitants de Madère, peu éloignée, mais dont le climat et les falaises abruptes n’offrent pas les mêmes attraits. L’île est pourvue depuis 1960 d’un aéroport international, qui assure des liaisons régulières avec le Portugal. (fin de l’intermède culturel) 


l'un des cinq îlots qui entourent Porto Santo
A bientôt...


mercredi 1 septembre 2010

TRAVERSEE

1er jour : inconscience

Vendredi 27 août, 15 h 30, nous quittons la marina de Portimao, Portugal, la fleur au fusil, après avoir hissé le pavillon or et sang confectionné, pour l’occasion, par notre ami Stefan. Objectif : remonter la côte de l’Algarve jusqu’au cap Sao Vicente, et faire route sur Porto Santo, Archipel de Madère (470 miles nautiques, soit environ 850 kilomètres). Avec une vitesse moyenne de 5 nœuds, nous comptons une centaine d’heures de navigation. Jusque là, tout va bien.

Fin de soirée, la houle prend de l’ampleur et ne nous quittera plus.


















2ème jour : shaker

C’est précisément dans ces moments-là que la question se pose avec acuité : « mais qu’est-ce que tu fous là !!! ».

Ca devait être une simple formalité, une « rigolade », une promenade de santé, et te voilà le cœur au bord des vagues, arrimée au fauteuil pour ne pas rouler sur le parquet, prête à sauter par-dessus-bord pour ne pas endurer une minute de plus ce roulis incessant et désordonné, cette mer capricieuse qui te secoue jusqu’au fond des entrailles qui ne demandent qu’à sortir, ce manque d’air provoqué par les hublots que tu ne peux pas ouvrir, sous peine de recevoir des paquets d’eau sur la tête…

Et tu essaies de te souvenir à quel moment de ta vie tranquille et bien organisée t’est venue cette idée saugrenue de te prendre pour une grande aventurière, toi dont l’expérience maritime se limitait il y a à peine dix ans au ferry Nice-Ajaccio ? Tu la connais pourtant, l’inconstance de la mer, mais c’est plus fort que toi : à chaque fois, tu le promets « on ne t’y reprendra plus ! » ; mais tu replonges et tu te retrouves coincée dans cette prison mouvante, à attendre ce moment de plénitude intense où tu lanceras au marinier le cordage qui t’attachera au quai de ton port de destination.

Alors tu t’allonges, tu t’accroches aux coussins ; tu suis de loin l’écran de contrôle qui te montre les cargos qui vont croiser ta route, et ceux qu’il faudra éviter s’ils ne s’en détournent pas ; tu prends un livre mais les mots qui dansent devant tes yeux te ramènent à la dure réalité de ton système digestif défaillant ; tu tentes une sortie à l’air libre après avoir endossé la panoplie de sécurité, mais la simple vue de la houle et l’inclinaison du cockpit ont raison de ton acte de bravoure.

Définitivement vaincue par les éléments, tu acceptes d’ingurgiter le petit comprimé blanc de Notamine qui mettra un terme, au moins provisoire, à tes inconforts de citadine et tu rêves aux dauphins que tu ne verras pas jouer dans l’étrave du bateau.

3ème jour : accalmie

La houle se fait plus langoureuse et les grandes claques sur la coque du bateau sont remplacées par des caresses un peu brusques.  La sensation de nausée se dissipe, prête à resurgir au moindre écart. Régime sec : trois grains de raisin, un croûton de pain, un quartier de pomme, mastiqués très consciencieusement pour ne pas incommoder l’estomac convalescent. Mouvements minimum, état comateux, on récupère des nuits de veille, hachées par le cri strident du radar qui nous signale un bateau entré dans notre zone de garde. La journée s’étire, interminable, au rythme du balancier que nous imposent les vagues. Même l’idée de la pêche est proscrite : il faudrait rejeter le poisson à l’eau pour ne pas supporter son odeur…

4ème jour :  éclaircie

7 heures : ils ont senti notre abattement et sont venus en nombre autour du bateau pour nous encourager. Par dizaines, à portée de main, des dauphins jaillissent et virevoltent en découvrant leur ventre argenté. Le moral remonte, le capitaine se remet aux fourneaux, le diner sera le premier vrai repas depuis notre départ. Séance cinéma pour fêter notre retour à la vie. On ose compter les heures qui nous séparent de l’arrivée.


5ème jour : terre !

10 heures : atténuée par la brume, première vision de terre émergée, celle qu’a dû apercevoir Christophe Colomb lorsqu’il est arrivé en vue de Porto Santo, il y a quelques centaines d’années… Comme un accouchement un peu difficile, l’épreuve s’efface à la vue du bébé, surgi des flots, volcans fumants sous une couronne de nuages, terre inconnue des novices que nous sommes. Et puis le port se dessine, tant espéré, brise-lames ouvert comme pour nous tendre les bras, le marinier imaginé en rêve qui nous attend sur le ponton, souriant, premier contact humain sur cet îlot perdu dans l’océan. Comme hébétés, étonnés d’être là, nous savons déjà que nous laisserons à d’autres la grande aventure de la Transat, et sommes remplis de la fierté d’avoir atteint les limites que nous nous étions fixées.





sylvie, 52ème jour de détention

Le radeau de la merduse


Il était une fois ...
« Mais qu’est ce que je fais là sérieusement ?!! ». Moi, je ne sais pas pourquoi, cette question, sur le bateau, je me la suis jamais posée sauf quand il n’y a plus de chocolat.

Pourtant, je dois l’avouer, il m’arrive souvent de stresser pour des choses qui n’en valent pas la peine :  quand la signalisation d’un bateau disparait sur l’AIS (c’est ce qui permet de situer les gros bateaux par rapport au nôtre), quand je trouve mes parents endormis alors qu’ils devraient faire leur quart de veille, quand on croise un porte containers à quelques centaines de mètres, quand on slalome entre les casiers des pêcheurs pour éviter de se prendre les cordages dans l’hélice, quand mon père écoute en fronçant les sourcils le bruit du moteur, quand un canadair frôle le mât pour remplir ses cales devant notre nez…

Bref, sur le bateau, je me sens bien. J’aime entendre le bruit des vagues qui tapent sur la coque, le mouvement de la houle qui ne s’arrête jamais ; en gros : je suis bizarre !

Les traversées qui durent plusieurs jours me permettent de faire des choses que j’aime bien comme :

- ne pas travailler mes cours (il est impossible de tenir en place plus de 2 secondes)
- regarder plein de films
- dormir tout le temps
En résumé,  le bonheur pour une feignante comme moi.

Mais il y a des inconvénients :

- faire attention à ce que l’on mange : le régime, l’horreur !
- servir ses parents quand l’un est anesthésié par un médicament pour ne pas vomir et que l’autre n’est pas apte à se lever.

THE END


                                                                                                                                                                                 sarah




LES MOTS DU KPITAINE

Nous voilà arrivés à une étape importante de notre voyage. Sommes-nous capables d’effectuer cette traversée qui va nous contraindre à rester cinq ou six jours au milieu de cette immensité bleue ? Si je dois reconnaître avoir une appréhension, elle n’est liée ni à l’éloignement de la terre, ni à cette énorme quantité d’eau mais à l’ignorance de ma capacité à rester tout ce temps sans trop pouvoir dormir, tout en gardant une lucidité intacte. Même si nous partageons la veille à deux, je suis responsable à cent pour cent du bon fonctionnement du bateau.

Nous sommes partis depuis peu et la météo semble déjà nous jouer un tour : d’un vent de nord nord-ouest annoncé, nous nous retrouvons avec un ouest sud-ouest, obligés d’avancer au près, avec une houle de travers et une gîte importante.



Voilà cinq heures que nous naviguons toujours au près ; je viens encore de réduire, je n’ai plus qu’un ris dans la grand voile, et pareil dans le génois, pour améliorer notre confort et diminuer un peu la gîte. Nous avançons encore à cinq nœuds avec 22 nœuds de vent.

Le vent a enfin tourné après le coucher du soleil : il s’est installé au Nord, assez stable, entre 15 et 17 nœuds. Je laisse tourner le moteur au ralenti pendant la nuit, le ronron doit inconsciemment me rassurer, même si je justifie l’allumage pour maintenir la charge des batteries. Il est vrai que le pilote, le radar et toute l’électronique consomment beaucoup.
A l’intérieur du bateau, il faut s’accrocher : les filles ont pris les deux couchettes bâbords, qui sont évidemment très stables malgré le balancement du bateau. En revanche, de la couchette tribord, où j’essaie de me reposer un peu, j’ai été éjecté à deux reprises, fracassant même la table du carré à ma deuxième tentative. La houle tape fort à tribord passant souvent par-dessus le bateau, avec un bruit impressionnant.
Pour notre troisième jour de navigation, la mer s’est un peu calmée, même si la houle continue à nous balancer dans un mouvement inconfortable. Tout va très bien : le vent a un peu faibli entre 13 et 17 nœuds, mais avec toutes les voiles dehors, nous avançons bien et sans trop giter.

Dernière nuit et sprint final : je n’en peux plus d’être enfermé dans les dix mètres carré utilisables du bateau, sans rien pouvoir faire : ce mouvement de balancier incessant nous fait nous cogner sans arrêt à tout ce qui constitue le carré : fauteuils, table, four, cloisons, portes, poignées, sans parler des passages au petit coin… Tout déplacement est prétexte à un nouveau bleu, une nouvelle éraflure. Le vent a encore faibli, entre 7 et 10 nœuds, mais la houle est toujours là. Je mets un peu de moteur pour cette dernière nuit et le garderai jusqu’à notre arrivée, l’objectif étant de maintenir notre vitesse, entre 5 et 6 nœuds, pour ne pas rallonger inutilement notre supplice.



Nous voilà rendus à bon port, sans avarie, quel soulagement ! En dehors du feu de mât qui a grillé, ainsi que le feu bâbord. A signaler aussi une coupure totale de l’électronique en pleine nuit, qui n’a pas vraiment d’explication et qui nous rappelle à quel point nous en sommes tributaires. La fatigue liée à l’absence de vraie nuit n’est finalement pas un problème : même si nous avons croisé beaucoup de cargos et de pétroliers, surtout la nuit, avec l’aide de l’AIS et du radar, nous avons moins besoin d’une veille attentive. Nous n’avons rencontré qu’un bateau de pêche et deux voiliers.


La météo était très favorable, et pourtant, la navigation ne s’est pas révélée très confortable. Je n’ose pas imaginer ce qu’aurait été le voyage en cas d’intempérie. Voilà de quoi remplir à nouveau ma case à soucis, en pensant déjà au retour, même s’il est encore loin. L’homme est ainsi fait : « il souffre par peur de souffrir de ce dont il a peur » (ce n’est pas de moi, mais de Voltaire, je crois).
                            

ENTRE DEUX RIVES

Intimidés par la faible profondeur du Guadalquivir, qui nous aurait conduit jusqu’à Séville, nous avons remonté sur quelques miles le fleuve Guadiana, frontière naturelle entre l’Espagne et le Portugal, juste le temps de nous poser entre deux rives, avant d’affronter le remue-ménage océanique.




Portés par un vieux rêve de Canal du Midi, nous avons baissé la tête au moment de passer sous le pont pour ne pas l’accrocher avec le haut de notre mat, navigué au sondeur pour éviter le piège du fond qui remonte, poursuivi un bateau de promenade à fond plat d’où jaillissaient les flonflons d’une fête de mariage, dormi plantés sur la quille lorsque la marée basse nous a surpris au mouillage, le long d’une berge couverte de joncs sur laquelle se prélassaient des cigognes, affronté le courant contraire lorsque nous avons rebroussé chemin, rebaissé la tête en repassant sous le pont, retrouvé les deux villes à l’embouchure du fleuve, portant chacune les couleurs de leur rive, Ayamonte pour l’Espagne, Vila Real de Sant Antonio pour le Portugal…

Embouchure Rio Guadiana

Rive gauche, Portugal
Gentils revenants du Rio Guadiana
Un peu bas, le pont...
passera...
passera pas...
passé !


Miss Bettyzou








Ayamonte, côté espagnol

Vila Real de Sant Antonio, côté portugais


Échappée dans une contrée tranquille, sans autre compagnie qu’une multitude d’oiseaux, échassiers, martin-pêcheur, comme un coin de paradis sur la Terre...