jeudi 13 janvier 2011

LA CITE DES OMBRES



Une gigantesque croix de béton plantée sur une église inachevée. Des dizaines de baraquements désaffectés éparpillés sur un immense terrain vague qui surplombe l’océan, à un jet de pierres du phare d’Abona, côte est, juste en dessous de l’autoroute qui rapproche les deux extrémités de l’île.



Vaste territoire inexploité, sur la côte la plus urbanisée des Canaries. Paysage de fin de monde, fascinant, silencieux, très éloigné de la civilisation qui le cerne.



Retour en arrière : 1940, la guerre civile a pris fin. Le régime franquiste s’attaque à un nouvel ennemi : la lèpre, fléau qui s’étend sur les Canaries, avec 197 cas recensés sur Tenerife. Les travaux sont lancés par l’administration militaire de l’île : pas moins de 34 bâtiments, église, école, réfectoire, lieux de soins, seront édifiés dans le style monumental de l’époque. 90 hectares seront utilisés pour isoler et soigner les patients.




Mais le progrès devance l’achèvement des travaux : un nouveau traitement est découvert, qui permettra aux malades de guérir tranquillement chez eux. La léproserie d’Arico n’a plus de raison d’être : les travaux sont interrompus, le site déserté. Les bâtiments, laissés à l’abandon de nombreuses années, seront un temps utilisés par l’armée comme camp d’entraînement à la guérilla urbaine. 



Années 2000 :  un promoteur italien rachète l’ensemble au Ministère de la défense pour  la modique somme de 17 millions d’euros ; un complexe hôtelier de 3000 chambres et deux terrains de golf remplaceront bientôt les bâtiments à l’abandon. Un an plus tard, une loi visant à réglementer la taille et le type de bâtiments touristiques dans le secteur est votée, le projet est avorté. Le site retourne à la désolation.



2011 : « l’œuvre » du Caudillo a la vie dure. Les squatteurs, tagueurs et rave parties n’ont pas eu raison des ruines d’Abona. La grande croix de l’église des Lépreux est toujours pointée vers le ciel bleu de Tenerife.


Juste en dessous, les habitants des maisons blanches qui s’alignent en rangs serrés ne se doutent pas un instant du drame qui n’a jamais eu lieu… 



K RAMBA !



Encore un qui a oublié de serrer le frein à main...

mardi 11 janvier 2011

LE VICE ET LA VERTU



Ici le pire côtoie le meilleur.  On a envie d’aimer et aussitôt on hait.
A Tenerife, il faut fouiller pour juger. Imaginer ce qu’on lui a pris avec ce qu’on lui a laissé.


Nous n'avons pas été déçus. Tout y est.



Les touristes qui s’agglutinent dans leur ghettos dorés : à quelques milliers de kilomètres de leur brouillard quotidien, ils se sont retrouvés pour siroter leur bière, griller quelques cellules sous le soleil qu’ils ont acheté. 



Ils sont les bienvenus, les messages anglo-saxons s’affichent sur les devantures des supermarchés. Il n’y a plus d’Espagne, juste un énorme club de vacances qui s’étale sans retenue sur cette terre qui s’est tant défendue, résistant bec et ongles à l’envahisseur, il y a juste quelques siècles : Tenerife, dernier bastion Guanche enlevé par l’Espagne très catholique, aujourd’hui envahie par un autre peuple, venu du Nord.



Fuyant la promiscuité et les érythèmes anglais, notre salut est dans le « Barranco del Infierno », qui, comme son nom ne l’indique pas, nous transporte vers le seigneur : notre plan est déjoué, il faut prendre son ticket pour photographier le Teide, derrière trois cars de Polonais, quatre remplis d’Anglais et six de Japonais.


Se succèdent des kilomètres de côtes maltraitées, maquillées de béton et de double-voies ; de belles villas, perchées avidement sur le front de mer qui n’est pas réquisitionné par les grands hôtels, occupent le terrain et empêchent l’accès à la mer qui fait entendre son ressac, au-delà des clôtures et du sifflement de l’arrosage automatique.




En désespoir de cause, les villes champignon, construites à la va-vite pour loger l’armée des sans grade, huile indispensable aux rouages de ce tourisme de masse, achèvent le massacre de ce paradis perdu ; derrière les rangées d’immeubles à moitié terminés, on se débarrasse sans vergogne de ses vieilles poussettes et de ses détritus.




Après La Palma, la Gomera, El Hierro, à la vertu intacte, conservées dans leur écrin d’origine, que reste-t-il de Tenerife  ?



Depuis quelques mois déjà, le Teide nous narguait, nous imposait sa vue depuis nos autres escales, comme s’il nous privait de cette attente, ce plaisir du paquet que l’on tarde à ouvrir… Mais la surprise était à peine entamée : le Teide est multiple, à chaque tournant il renaît ; omniprésent, on ne peut le semer, juste lui tourner le dos et aussitôt il réapparait.


Sur son trône monumental, il règne en monarque absolu sur cette île qui l’a vu naître, et bien au-delà. Si l’on s’approche, on prend un aller simple vers la lune ; au crépuscule, il s’enflamme au-delà des nuages qui n’arrivent pas à l’atteindre.







On nous avait prévenu : le pire est dans le sud, le long de cette cordillère de gratte-ciels. Qu’attendre de « Playa de America » ou de « Los Cristianos » sinon une amère déception.



C’est un écrin de verdure, à l’extrême sud de Tenerife, qui nous a accueilli pour les fêtes de Noël : le petit port de pêche de Las Galletas, grand ouvert sur l’océan, bordé par quelques hectares de côtes volcaniques qui conservent leur virginité, à quelques lieux du sanctuaire de la crème à bronzer.





Quelques vestiges de plantations de bananiers se fondent dans le paysage, qui donneront du fil à retordre aux archéologues du futur.





Un grand écart nous télescope dans le nord de l’île, là où la route s’arrête sans prévenir. Juste un café face à la mer, comme on en rêvait, à quelques enjambées de la capitale, une autre Santa Cruz


Il faut se perdre dans ce bout de nulle part, traverser les ravins, sillonner les crêtes des montagnes qui donnent à voir la mer des deux côtés de l’île, s’arrêter pour profiter de l’air qui ne sent que les algues, supporter la gifle des embruns, descendre encore pour découvrir un autre village de pêcheurs, qui ne ressemble jamais aux autres.









Encore le grand saut pour rallier un autre extrême, à l’ouest, où l’on retrouve encore les Canaries que l’on aime, grandioses et presque intactes ; Buenavista, qui porte bien son nom : en face, la Gomera toute ronde et un peu plus haut, La Palma, fantasmatique.




Une route traverse cet angle même pas droit et l’on s’accroche pour échapper au vertige : en contrebas s’étendent d’autres ravins, juste sous nos roues, et l’on a du mal à imaginer la vie à Masca, quand les chemins muletiers étaient le seul moyen de rallier d’autres villages.






Tenerife, « l’endroit de la soif » en langue berbère, donne encore à voir à ceux qui l’aiment : juste quelques pas à franchir pour sauter ce qui pue la frite, juste quelques pas, et nous sommes aux Canaries.


K m'isole et je déblog


La dépression dans laquelle je m’enfonce n’est pas météorologique.
Mes hectopascals de petit bourgeois ne sont pas poétiques.

Je le sais, il n’est pas bien de se confier à ceux qui vous aiment : ils en profitent aussitôt pour se faire du souci. Quant à ceux qui, fatigués par leur journée de labeur, viendraient à me lire motivés par l’envie, ils s’en reviendraient contrits et coupables de leurs sentiments précédents.

N’en faites rien !

Il s’agit d’états d’âme passagers qui auront disparu dès que je les aurai écrits.
Le temps défile, m’échappe, et je ne retiens rien.

J’ai déjà tout oublié : les paysages magnifiques, les eaux chaudes et grouillantes de poissons étonnants, les rayons du soleil qui me réchauffaient, allongé sur le sable humide et doux. Mon cerveau de matérialiste ne fonctionne que dans la propriété, au point de devoir arracher une partie de ces paysages à l’aide d’un appareil approprié.



Le salut est dans la fuite en avant, vers de nouveaux paysages, de nouvelles découvertes de petits coins sympas que j’oublierai à leur tour. Bien sûr, me direz-vous, il y a aussi les rencontres, mais celles-ci sont éphémères et ne vous laissent que des regrets, proportionnels au plaisir qu’elles vous ont apporté. Combien d’oublis, de déceptions m’attendent encore ?

Par pitié, je vous le demande, soyez prudents et gardez-vous, tant que vous le pourrez… de voyager.