Une gigantesque croix de béton plantée sur une église inachevée. Des dizaines de baraquements désaffectés éparpillés sur un immense terrain vague qui surplombe l’océan, à un jet de pierres du phare d’Abona, côte est, juste en dessous de l’autoroute qui rapproche les deux extrémités de l’île.
Vaste territoire inexploité, sur la côte la plus urbanisée des Canaries. Paysage de fin de monde, fascinant, silencieux, très éloigné de la civilisation qui le cerne.
Retour en arrière : 1940, la guerre civile a pris fin. Le régime franquiste s’attaque à un nouvel ennemi : la lèpre, fléau qui s’étend sur les Canaries, avec 197 cas recensés sur Tenerife. Les travaux sont lancés par l’administration militaire de l’île : pas moins de 34 bâtiments, église, école, réfectoire, lieux de soins, seront édifiés dans le style monumental de l’époque. 90 hectares seront utilisés pour isoler et soigner les patients.
Mais le progrès devance l’achèvement des travaux : un nouveau traitement est découvert, qui permettra aux malades de guérir tranquillement chez eux. La léproserie d’Arico n’a plus de raison d’être : les travaux sont interrompus, le site déserté. Les bâtiments, laissés à l’abandon de nombreuses années, seront un temps utilisés par l’armée comme camp d’entraînement à la guérilla urbaine.
Années 2000 : un promoteur italien rachète l’ensemble au Ministère de la défense pour la modique somme de 17 millions d’euros ; un complexe hôtelier de 3000 chambres et deux terrains de golf remplaceront bientôt les bâtiments à l’abandon. Un an plus tard, une loi visant à réglementer la taille et le type de bâtiments touristiques dans le secteur est votée, le projet est avorté. Le site retourne à la désolation.
2011 : « l’œuvre » du Caudillo a la vie dure. Les squatteurs, tagueurs et rave parties n’ont pas eu raison des ruines d’Abona. La grande croix de l’église des Lépreux est toujours pointée vers le ciel bleu de Tenerife.
Juste en dessous, les habitants des maisons blanches qui s’alignent en rangs serrés ne se doutent pas un instant du drame qui n’a jamais eu lieu…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire